Sunday, August 12, 2007

"Peut-être faut-il voir dans cette hantise l'évolution de notre attitude à l'égard du problème juif en Europe. On est passé de l'idéalisation consécutive à la révélation du génocide au dénigrement ultérieur. L'éloge portait en lui l'imminence de l'éreintement, la calomnie suivait de près l'idéolatrie. A l'image du bon Juif, humble et persécuté, s'est substituée celle du colon arrogant et agressif. On admirait le premier, déraciné, vagabond, témoin exemplaire de la condition humaine; on le vomit normal, citoyen ordinaire d'une nation qui défend chèrement sa peau. On en veut aux Juifs d'être sortis de leur faiblesse immémoriale, d'embrasser la force sans crainte. Ils ont trahi la mission que leur avait assigné l'Histoire, être un peuple d'apatrides qui ne s'enferre pas dans l'étroitesse obtuse des nations. [...]

l'intelligentsia française et une partie de la gauche, malgré un antifascisme sourcilleux élevé au rang d'une mystique républicaine, aient gardé la bouche close devant le déferlement de judéophobie d'origine immigrée qui a frappé la France à partir de la seconde Intifada (et dans le contexte duquel se situe le meurtre par torture du jeune Ilan Halimi par un gang de banlieue en 2006, mélange d'acte crapuleux et raciste). Beaucoup se sont empêtrés dans une dénégation embarassée quand ils n'accusaient pas les intéréssés de paranoïa voire de provocation. Il est symptomatique que la France chaque fois qu'elle est en délicatesse avec son identité, s'en prenne à ses Juifs même si c'est aujourd'hui à travers le prisme proche-oriental. Rapport passionnel : la France s'est presque soulevée pour défendre la réputation d'Alfred Dreyfus, accusé de trahison. "

Pascal Bruckner, La tyrannie de la pénitence, essai sur le masochisme occidental, Grasset, 2006.

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