Thursday, August 24, 2006

S'il vous plaît encore quelques minutes...


Je ne suis pas une cuisine encastrable. Je ne peux me déformer, me reformer, me contorsionner au gré de tes désirs et de tes exigences. Cinq centimètres de moins sur les hanches, deux centimètres de plus sur les seins et quelques milligrammes de finesse en plus. Vous m’insérerez tout cela entre l’évier et le lave-vaisselle ; je te rappelle entre cinq et six heures ; on peut se voir jeudi soir après le dentiste.

Il faudrait que tu sois moins maniérée moins sophistiquée et en même temps plus belle sans quoi je me réveillerais un matin en me disant pourquoi tant de rides. Sans mettre de crèmes, il faudrait que tu gardes ton éternelle jeunesse, ta douceur de peau, ton teint frais.

Je n’ai pas le temps je suis trop pressée. Il faudrait pourtant que tu sois plus efficace, que tu fasses la cuisine, que tu ranges tes affaires. Ah ! mais quel fouttoir !!

J’aimerais être dans une cette boîte toute carrée. Les lignes sont parfaites. L’espace est restreint. Personne ne viendrait m’y trouver. Je voudrais être cette boîte. Posée, tout le monde m’oublierait. Je resterais là tranquillement, en regardant les gens vivrent. Dans cette boîte, je serai seule tu ne viendras pas, tu me laisserai. Dans cette boîte, il n’y aurait pas de place pour des soucis, trop petite pour organiser, rien n’à ranger. Tout y est calme.

Chut ! Vous faites trop de bruit. Ca s’écoute le silence.

Chut ! Vous êtes trop bruyant, vous ne vous entendez pas vivre.

Chut ! Quel vacarme. Je n’entends plus mon cœur battre. Le tien non plus. Bat-il comme le mien ? Sommes-nous à l’unisson ?

Chut ! Reprenez doucement. Regardez encore un peu en bas. Regardez ce que vous ne voyez pas. Du haut de tes talons, tu écrases le monde, tu écrases les autres. Tu te crois la plus belle, tu vis pour ton image, tu vis pour ton reflet. Mince je resterais, embrasse-moi.

Encore quelques minutes, Mademoiselle ne bougez plus. Stop, arrêtez vous. Puis-je vous poser une question ? Comment faites-vous pour être si belle ?

Je sors de chez le coiffeur, il est midi trente. Je flane dans les rues. L’agitation est modérée. Je n’ai pas faim. Je pense à mes cheveux.

Je sors de chez le coiffeur, il est quatre heures et demi. Le petit jeune était charmant. Je reviendrais chez lui.

Je t’attends. Tu es là assis face à moi et pourtant je t’attends. Combien de temps mettras-tu à te réveiller. Je suis là il faudrait que tu parviennes à me voir, à me saisir. Non ? Toujours pas. Tant pis, je pars.

Mon sac, mes pieds, mon courage, mes yeux droits fixés devant moi. L’avenir est là où le cœur vous guide. Je m’enfonce dans le métro, je cherche ma carte. Je me dépêche. Je veux à présent t’échapper. Retiens moi.

Trente minutes plus tard. Je suis nue sur ton lit. La chambre est sombre. Un liseré de lumière à travers la fenêtre. Tout me plaît. Je cris. Je hurle. Aussi fort que l’orage. Mon cœur se déchaîne. Je ne t’aime pas. Tu es même moche. Ton corps m’indiffère mais moins que ton être.

Je m’assoies, je me lève. Je n’ai pas vraiment le droit d’être posée ici. Encore un moment. Je guette la porte. Je guette le couloir. Le gardien du musée va peut-être arriver. Après autant de toiles le stationnement debout est pénible. Mon langage est stéréotypé. Je suis si fatiguée. Celle là me plaît beaucoup. Beaucoup trop. Je la prendrais bien chez moi. Je passerais volontiers ma vie devant. Je m’y fondrais délicatement. J’habiterais cette maison que l’on peut voir dans certaines toiles au loin. Je ne serais pas ami avec les personnages qui sont au premier plan. Je serais la recluse de la toile. L’inconnue qui hante tes peintures. Je veux rêver. Rester là, pensive.

Je suis assise. Le trajet a été long. Je n’ai rien ressenti, j’ai rit, j’étais bien, j’ai parlé. Tu étais là, les yeux rivés sur la route. L’esprit ailleurs. A quoi pensais-tu ? A hier soir dans ce lit ? A hier après –midi sur le canapé ? A demain quand je ne serais plus là. Nous sommes déjà arrivés. On ne peut pas repartir, pas tout de suite. Je veux encore que tu conduises. L’asphalte imperturbable me rassure. Le long bruit monotone des voitures me berce. Le klaxon violent des camions me ramène à la réalité , à la violence, à l’agressivité. Aimerais-tu faire l’amour ?

Je suis assise dans cette salle d’attente. Il est grand mais vieux. Il est élégant mais quoi, je stresse. Il est là assis lui aussi à son bureau. Sa posture, son allure, tout lui confère un air assuré. Je me reprends. J’évacue les tensions. Le soleil baigne la pièce d’une chaleur automnale. C’est la fin de l’après-midi. Il y a cinq minutes, le contact froid du zinc du bar d’en face et le goût amer de la cigarette m’envahissaient. J’écoute tous ses mots. Je ne regarde pas ses lèvres mais ailleurs. C’est fini. Je pars. Je suis heureuse. Le soleil a diminué. Peu m’importe j’ai eu tout ce que je voulais. Des enfants jouent dans la rue. Ils courent. J’entends ta voix. J’allume une nouvelle cigarette. Mon sac se renverse. Je ramasse mon rouge à lèvres, mon crayon, et tout le reste. Non pas tout de suite. Attendez encore un peu. C’est magique.

Il avait attendu ce moment toute la journée. Il s’approche des caisses. Elle était bien là assise derrière sa machine. Le géant allait fermer. Conte d’amour hypermoderne. C’est son tour. Il a pris plus d’articles que le besoin l’imposait. Son tour est fini. La cliente derrière lui s’impatiente. Il ne pourra plus la voir pour aujourd’hui. Il reviendra demain. C’est sur. Il reviendra chaque jour. Il cherchera l’article à problème. Celui qui imposera une attente. Celui qui nécessitera d’aller chercher l’exact prix. Il la regardera encore et toujours. Elle ne verra que l’horloge derrière lui. Celle qui lui indique l’heure où elle finit ce sale boulot. L’heure où elle peut enfin étaler ses jambes et reposer ses bras. Elle redémarre après lui. Il prend ses paquets et s’en va. Il marche. Il l’imagine nue. Il est soudain impatient de rentrer chez lui.

Elle accélère le mouvement. Encore plus vite, encore plus fort. Ne t’arrête jamais. Oh, oui, secoue moi. Il la pousse, il la reprend, il la rejette, il la relance. Sa jupe s’envole. Le vent se fait complice. Il relève son jupon, il laisse découvrir ses jambes élancées. Encore plus vite, encore plus fort. Elle se revoie petite. Cette balançoire la fait frissonner. Le soleil dore sa peau. Le soleil l’enivre. Encore encore. Elle se sent libre. Elle se sent vivre. Elle ne veut plus descendre. Elle se sent désirée. Elle se sent femme.

Un peu d’attention s’il vous plaît. Mesdames, Messieurs, nous sommes aujourd’hui ici pour rendre hommage. Je n’entends déjà plus rien. Tant de monde dans cette salle. Je suis tout en haut on y voit rien. Tout est noir. Les gens sont petits. Je n’aurai pas du venir. Assise sur mon canapé j’aurai été mieux. Je suis là tant pis. Tu es là aussi. Tu me parles. Trop haut, trop fort. Tout le monde nous regarde. On va finir par nous demander de nous taire. Tu me fais rire. J’aime quand tu es si gaie. Tu es si belle, quand tu es si naïve. Non ne te tais, pas continue, rie encore avec moi. Non ne l’écoute pas. Ne regarde plus personne. Nous sommes là toutes les deux. Au milieu de la foule, seules au monde. Tu me soutiens, je suis là pour toi. Vivons ensemble. Ne nous oublions pas.

Un chapeau sur la tête puis un autre. Des roses, des verts, des fleuris, des kakis. Les grands magasins parisiens me donne la fièvre. Les paquets à la main m’encombrent. Notre course infinie de rue en rue, nous marchons, nous courrons, nous déambulons. Tous les rythmes ont marqué notre journée. Tout à l’heure on s’envolera. L’avion dans quelques heures. Le sentiment d’être là sans y être. D’être là pour quelques minutes seulement. Le sentiment que rien ne peut nous arrêter. Je te regarde, je m’arrête j’ai trop couru, j’ai trop rie, j’ai été trop heureuse. Je t’avoue que je t’aime.

Elle était là devant lui. Elle était enfin là, sa fille. Il l’avait tant attendu. Il avait tant espéré. Bientôt elle repartira. Bientôt il s’en ira. Il est là allongé. Il sait que le temps lui est compté. Elle parle un faux langage. Celui de la fausse vie. Celui de la vie racontée aux malades. Elle parle un langage qu’il n’entend pas. Il s’en fout de la météo, il n’en a rien à faire de toutes ces fausses paroles. Il sait qu’il va mourir. Il la regarde encore. Il espère une seconde de vérité. Un silence assumé. Il espère qu’elle va se taire. Il espère qu’elle va le regarder. Il espère lire de l’amour. Il voudrait partir confiant. Il voudrait être rassuré. Elle pérore sur les fleurs, le printemps, sur le beau temps. Elle poursuit sur Lucie, ses études, ses réussites. Rien n’est vrai. Le langage que l’on tient aux malades les enfonce à chaque mot un peu plus. Il le sait mais ne lutte même plus. Sa fille est une lâche, elle ne se confrontera pas à la mort de son père. Les convenances ont empli sa vie. Elle se détourne du malheur. Elle s’imagine ainsi dans le bonheur. Elle se lève, elle l’embrasse. Elle ne l’aura pas vu. C’est comme si elle n’était pas venue. Il n’a plus qu’à mourir. Il a pourtant envie de la retenir, d’obtenir ce regard, d’obtenir cette minute. Il s’épuise, il s’effondre, il s’étiole, il ne peut plus lutter : «Ne pars pas, encore quelques minutes s’il te plaît ».


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